Une baleine sur le fil

Les animaux au devant de la scène

La fin du règne du Roi lion en Afrique de l’Ouest ?

Dans les histoires qu’on raconte aux petits ou dans les souvenirs des plus grands, le lion est le roi des animaux. Carnivore et grand prédateur par excellence, il est indétrônable, dans nos esprits en tout cas. Mais les dernières données de recensement du félin sont des plus alarmantes : les lions d’Afrique ont perdu 75 % de leur habitat d’origine et il n’en reste qu’environ 35 000 à l’état sauvage, contre près de 100 000 il y a 50 ans. Ils sont encore les vedettes des safaris dans l’Est et le Sud du continent, mais qu’en est-il à l’Ouest ? Combien d’individus restent-ils ? Où ? C’est à ces questions qu’ont répondu Phillip Henschel, de l’ONG Panthera, et ses collaborateurs dans une étude publiée dans le revue PLOS ONE le 8 janvier dernier.

Lion mâle. Parc national de Niokolo-Koba.  © Philipp Henschel

Lion mâle. Parc national de Niokolo-Koba.
© Philipp Henschel

 

Une situation dramatique

Les scientifiques sont partis de loin… Sur les 463 articles portant sur les lions d’Afrique recensés sur le site ISI Web of Science (base de données bibliographiques universitaires) en 2005, pas un ne traitait spécifiquement des lions d’Afrique de l’Ouest. Alors pendant les années qui ont suivi (de 2006 à 2012), les scientifiques ont réalisé une vaste enquête de terrain dans 13 parcs nationaux de plus de 500 km2 ainsi que dans 8 autres parcs de plus petites tailles. 21 aires protégées au total, allant du Sénégal au Nigéria. L’équipe pouvait être optimiste puisque ces réserves étaient justement considérées comme susceptibles d’abriter des lions. Mais les résultats qu’ils publient sont tout autres. « La situation des lions en Afrique de l’Ouest est terrible », écrit Phillip Henschel. Voilà de quoi annoncer la couleur. L’entière population de lions en Afrique de l’Ouest atteint timidement 406 individus (fourchette d’erreur de 205 à 587). Ceux-ci se répartissent sur une aire de 49 000 km2, soit 1,1 % de leur aire de répartition historique.

Sur les 21 zones étudiées, 4 seulement comptent encore des lions. Pire encore, une seule zone comporte plus de 50 individus : c’est la réserve de W-Arly-Pendjari, à la frontière du Bénin, du Burkina-Faso et du Niger. Autrement dit, dans les 3 autres zones, à savoir le parc naturel de Kainji-Lake et la réserve de Yankari Game au Nigéria, et le parc national du Niokolo-Koba au Sénégal, le nombre de félins est inférieur à 50.

On trouvait avant des lions dans toute l'Afrique de l'Ouest. Aujourd'hui, leur présence est confirmée au niveau des taches vertes... © Panthera

On trouvait autrefois des lions dans toute l’Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, leur présence est confirmée au niveau des taches vertes foncées … © Panthera

 

Un conflit entre hommes et lions

Urbanisation et exploitation agricole sont parmi les menaces qui pèsent sur les lions d’Afrique et qui peuvent expliquer leur si faible nombre. Selon les auteurs, « le déclin continu des populations de proies sont presque certainement la cause des baisses concomitantes chez les lions ».

Les terres d’élevage et agricoles gagnent du terrain et cela crée une compétition entre les hommes et les lions : les humains chassent les proies naturelles des lions, qui s’abattent alors sur le bétail… et qui sont tués en retour par les fermiers mécontents. Un cercle vicieux qu’il faut tenter de rompre pour sauvegarder le roi des animaux.

Mais comment ? Les scientifiques proposent d’augmenter le nombre, les compétences et le budget de fonctionnement du personnel dans les parcs nationaux. « Lorsque nous avons examiné les 21 zones, nous avons réalisé que six d’entre elles n’avaient pas de budget de fonctionnement du tout, et par rapport aux grands parcs dans le Sud et en Afrique de l’Est, ils sont tous sous-effectif », explique le scientifique à National Geographic, avant d’ajouter que ces parcs sont « systématiquement dépouillés par des braconniers ». Un autre moyen d’aider les félins consisterait à sensibiliser les habitants, améliorer les techniques d’élevage pour réduire les pertes de bétail et ainsi redorer l’image négative locale des grands prédateurs. Autre proposition : développer le tourisme photo dans les pays politiquement stables comme le Bénin ou le Sénégal. Cela créerait une motivation économique pour la conservation.

Parce que le problème dans ces régions, selon les propos de Phillip Henschel à l’AFP, c’est que les lions n’ont « aucune valeur économique. L’Afrique de l’ouest compte parmi les plus pauvres pays du monde. Les politiciens ne voient aucun retour (financier) potentiel de la part de leur faune sauvage ». Le scientifique constate également que « dans l’Ouest, ils (les lions) valent davantage morts, pour les féticheurs locaux ». Phillip Henschel a d’ailleurs confié avoir trouvé des peaux de lions sur un marché d’Abidjan à 760 €. Une belle somme quand on la compare au salaire minimum en côte d’Ivoire qui tourne autour de 90 €.

Camp de braconniers, rempli d'antilope rouanne, une proie des lions. Parc national de Comoe.  © Philipp Henschel

Camp de braconniers, rempli d’antilope rouanne, une proie des lions. Parc national de Comoe.
© Philipp Henschel

 

Une sous-espèce à part entière

Sur les quelques 406 lions qui foulent encore les terres de l’Afrique de l’Ouest, les scientifiques estiment que seuls 250 d’entres eux sont matures. Pour cette raison principalement, les auteurs de l’étude demandent vivement de considérer les lions d’Afrique de l’Ouest comme « en danger critique ». Et il y aurait une solution pour appuyer ce classement : faire en sorte que les lions d’Afrique de l’Ouest soit reconnu comme une sous-espèces à part entière. Une étude publiée en 2011 dans Journal of Biogeography montre en effet que ces félins sont génétiquement distincts des lions de l’Est et du Sud du continent. « Si nous perdons le lion d’Afrique de l’Ouest, nous allons perdre une population unique, localement adaptée et que l’on trouve nulle part ailleurs. Cela rend leur conservation d’autant plus urgente », explique Christine Breitenmoser, co-présidente du groupe sur les fauves de l’UICN, dans un communiqué.

Lionceau de 8-10 mois. Réserve de Yankari Game. © Philipp Henschel

Lionceau de 8-10 mois. Réserve de Yankari Game.
© Philipp Henschel

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Cette entrée a été publiée le janvier 15, 2014 par , et est taguée , , , .