Une baleine sur le fil

Les animaux au devant de la scène

Le plastique, c’est pas fantastique

Plage d’Awala-Yalimapo, Guyane française. C’est la saison de ponte des tortues luths. Comme tous les soirs à cette période, les scientifiques strasbourgeois (laboratoire IPHC-DEPE, CNRS) font leur ronde sur la plage et suivent ces femelles qui mettent tant de volonté à trainer leur corps lourd sur le sable afin d’y déposer leurs œufs. Mais cette nuit du 6 mai 2009, ce ne sont pas de jolies boules blanches que l’équipe a vu s’échapper du cloaque de celle qu’ils observaient, mais un liquide verdâtre à forte odeur. Pas très appétissant… « Nous nous sommes aperçus que quelque chose obstruait le cloaque de la tortue et avons retiré 2,6 kg de plastique », raconte Virginie Plot, docteur en écologie et premier auteur de l’étude rapportant ces faits dans la revue Chelonian Conservation and Biology. Heureux dénouement cependant, la ponte, d’œufs cette fois, a bien eu lieu ensuite. « Les tortues luths se nourrissent majoritairement de méduses et il est fort probable qu’elles aient confondues proie et plastique », explique Virginie Plot.

2,6 kg de plastique ont été retiré du cloaque d'une tortue luth femelle © Virginie Plot

2,6 kg de plastique ont été retirés du cloaque d’une femelle tortue luth.
© Virginie Plot

Cet événement est malheureusement loin d’être le seul et certains sont bien plus tragiques. Un exemple : le 11 novembre 2013, un cachalot a été retrouvé mort sur une plage des côtes néerlandaises. L’autopsie du géant a révélé la présence de 20 kg de plastique dans son estomac : principalement des morceaux de serres agricoles utilisées pour la culture des tomates. Selon le programme des nations unis pour l’environnement, plus d’un million d’oiseaux marins et 100 000 mammifères marins meurent chaque année de l’ingestion de plastique. « Les morceaux de plastiques pourrait diminuer la capacité de l’estomac et donc affecter l’alimentation des animaux», commente Virginie Plot.

 

Des micro-plastiques plus vicieux

On connaît les tristes conséquences des macro-déchets plastiques sur les organismes marins : blessures, mutilations, étranglement, étouffement, suffocation, obstruction du système digestif. Et ce ne sont pas les albatros des îles Midway qui diront le contraire. Mais on connaît moins les effets, plus vicieux, des micro-plastiques. Ceux-ci sont extrêmement nombreux puisqu’issus de la dégradation des plus gros déchets, aidés par le rayonnement solaire et les mouvements de l’eau. Ils ont un diamètre inférieur à 5 mm, soit la taille d’un confetti. En Méditerranée, l’expédition MED (Méditerranée en Danger) menée par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et l’Université de Liège estime que 115 000 micro-déchets polluent chaque km2 de la mer. L’équipe rapporte même des pics à 892 000 microplastiques par km2.   

En plus d’être omniprésent, ces micro-déchets sont capables d’absorber des polluants chimiques présent dans l’océan, jouant ainsi le rôle de véritables éponges. La question qui se pose est alors : quel en est impact sur les organismes qui ingurgitent ledit plastique ? Dans une étude parue dans la revue Scientific Reports en Novembre 2013, Chelsea Rochman et ses collègues ont montré que des poissons (médakas) ayant ingéré des fragments de plastiques contaminés (c’est à dire laissés pendant 3 mois dans la baie de San Diego et donc ayant « épongés » les nombreux polluants s’y trouvant) voyaient leur foie s’endommager. 74% des poissons avaient un déficit sévère de glycogène (forme de mise en réserve du glucose = sucre)  et 11% présentaient une nécrose des cellules du foie. 

Les micro-plastiques, omniprésents dans les océans, font la taille d'un confetti.  © Algalita Marine Research Institute

Les micro-plastiques omniprésents dans les océans.
© Algalita Marine Research Institute

Le problème avec certains de ces polluants qui « colonisent » les micro-plastiques (notamment les métaux lourds et les polluants organiques persistants), c’est la bioaccumulation : l’augmentation de la concentration d‘un polluant au fur et à mesure qu’il remonte la chaine alimentaire. Autrement dit, en entrant dans le menu des animaux marins, ces polluants pourraient aussi entrer dans celui de l’Homme.

 

« Le 7ème continent »

En 2012, 288 millions de tonnes de plastique ont été produit, et on estime que 10 % se retrouve dans l’océan. Où? Partout. Il y aurait environ 13 000 morceaux de plastique par km2 d’océan. Mais on les trouve principalement au niveau des 5 gyres océaniques, ces phénomènes météorologiques formant d’énormes tourbillons d’eau qui piègent les déchets plastiques. C’est le navigateur Charles Moore, fondateur depuis de l’ONG Algalita Marine Research Institute qui fut le premier à observer la plus grande plaque flottante de déchets du monde, au niveau du gyre du Pacifique nord. L’« îles de déchets », le « 7ème continent », le « vortex de plastique » ou encore « la grande poubelle du Pacifique », les mots ne manquent pas pour décrire ce désastre écologique. L’ONG enchaine les expéditions pour étudier cette zone de 3,4 millions de km2. Et les chiffres font froid dans le dos : en moyenne 334 271 fragments de plastique par km2, soit 26 fois plus que la moyenne mondiale, avec des pics à 969 777 fragments par km2. Pour le dire autrement, on estime la densité de plastique dans cette poubelle géante à 5 kg par km2 sur une profondeur moyenne de 10 m, avec des débris jusqu’à 30 m. La masse de plastique y est 6 fois plus importante que celle du plancton…

5 kg/km2, c'est la densité de plastique dans « la grande poubelle du Pacifique »

5 kg/km2, c’est la densité de plastique dans « la grande poubelle du Pacifique »

Les océans vont-ils agoniser encore longtemps et se transformer irréversiblement en soupe de plastique ? On ne peut pas filtrer tout l’océan pour en extraire ses ordures, alors il faut s’attaquer à la source. Selon Charles Moore, il faut « l’arrêter sur la terre avant qu’il ne tombe dans l’océan ».

 

Tenter de freiner le désastre 

Le 4 novembre 2013, la Commission européenne a adopté une proposition encourageant les membres de l’Union européenne (UE) à taxer ou à interdire l’utilisation de sacs en plastique. La France, elle, a décidé de taxer les sacs non biodégradables à usage unique disponible à la caisse des magasins à partir du 1er janvier 2014. Autre mesure à venir, l’union européenne est en voie d’interdire le plastique dans les décharges pour mieux le valoriser, par incinération (création d’énergie) ou recyclage. Au Canada, la ville de Toronto s’apprêtait elle aussi à faire un pas en faveur de la protection de l’environnement en voulant interdire les sacs plastiques dans les magasins, mais elle a finalement fait marche arrière fin novembre.

Et à notre échelle, comment faire en sorte d’éviter la catastrophe ? Commencer par exemple par utiliser des sacs réutilisable, acheter en vrac… Pour plus de conseils : regardez le site de Greenpeace.

Pour finir, regardez à quelle cadence les déchets plastiques rejoignent les eaux

Pour aller plus loin 

TED Talks, « Charles Moore parle des mers de plastique » (en anglais, sous-titré en français). 

Le dessous des cartes, « Des îles de déchets ? ».

Un commentaire sur “Le plastique, c’est pas fantastique

  1. dudu
    janvier 24, 2014

    super ! extrêmement clair et peu rassurant …alerte à la conscience collective !!

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Cette entrée a été publiée le janvier 9, 2014 par , et est taguée , , , , .

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